Depuis le 24 janvier 2018, date à laquelle l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, cette institution pan-européenne située à Strasbourg, a voté la recommandation visant à adopter une Convention européenne aux fins de protéger la profession d’avocat, celle-ci étant de plus en plus victime d’attaques et de menaces diverses, le projet de cette Convention a fait son petit chemin.
J’avais par deux fois eu l’honneur déjà de rapporter les progrès faits dans ce processus d’adoption de cette Convention dans Le Juriste International(1).
Cinq ans plus tard nous sommes à la croisée des chemins : la proposition de texte de Convention a fait l’objet de nombreuses réunions du Comité d’experts sur la protection des avocats, comité mis en place en janvier 2022. En effet, le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire d’une décision de son Comité des Ministres, s’est adjoint un Comité de différents représentants d’Etats membres, alors que des organisations d’avocats sont admises à participer à ces travaux, ce que fait l’UIA par l’intermédiaire du Bâtonnier Georges-Albert DAL, de Bruxelles.
Avant de faire le point sur les avancées du texte (II.), il est bon de revenir au statut de l’avocat tel qu’il émane de la jurisprudence de la CEDH (I.).
I. Le statut de l’avocat selon la Cour Européenne des Droits de l’Homme
Traditionnellement l’avocat était vu comme un auxiliaire de la justice. Ainsi, dans l’arrêt AFFAIRE MOR c. FRANCE (Requête no 28198/09) du 15 décembre 2011, la haute juridiction rappelait que ‘le statut spécifique des avocats leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice’ ; et que ‘leur qualité d’intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux permet de les qualifier d’auxiliaires de justice, et c’est d’ailleurs à ce titre qu’ils jouent un rôle clé pour assurer la confiance du public dans l’action des tribunaux, dont la mission est fondamentale dans une démocratie et un Etat de droit’ (§42).
Ce statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, qui leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice, sera rappelé encore une fois dans l’arrêt de la Grande Chambre MORICE c. FRANCE (Requête no 29369/10) du 23 avril 2015 (§132).
Déjà quelques années auparavant dans l’arrêt NIKULA c. FINLANDE (Requête no 31611/96), du 21 mars 2002, la Cour avait dit que ce statut d’intermédiaire entre les justiciables et les tribunaux ‘explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau’. Et elle avait ajouté que ‘l'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un Etat de droit, a besoin de la confiance du public’, soulignant ainsi le ‘rôle clé des avocats dans ce domaine… [contribuant] au bon fonctionnement de la justice et, ainsi, à la confiance du public en celle-ci’ (§45)(2) .
Beaucoup d’affaires relatives aux avocats ont trait à leur liberté d’expression. Ainsi l’arrêt PAIS PIRES DE LIMA c. PORTUGAL (Requête no 70465/12) du 12 février 2019, vient rappeler que ‘la question de la liberté d’expression est liée à l’indépendance de la profession d’avocat, cruciale pour un fonctionnement effectif de l’administration équitable de la justice’. Dès lors ‘ce n’est …qu’exceptionnellement qu’une limite touchant la liberté d’expression de l’avocat de la défense – même au moyen d’une sanction pénale légère – peut passer pour nécessaire dans une société démocratique’ (§60).
Récemment l’arrêt MESIC c. CROATIE (Requête no 19362/18), du 5 mai 2022, a réaffirmé que ‘les avocats [jouent] un rôle essentiel dans l’administration de la justice et que le libre exercice de la profession d’avocat [est] indispensable à la mise en œuvre intégrale du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention’ (§107)(3).
Cet arrêt a de particulier que la Cour indique qu’elle 'est consciente en outre des cas de harcèlement, de menaces et d’agressions contre des avocats survenus dans de nombreux pays membres du Conseil de l’Europe’ (§108).
Elle consolide ainsi son analyse des menaces que rencontrent les avocats, ce qu’elle avait fait déjà auparavant dans différents arrêts, comme dans celui de ALIYEV c. AZERBAIJAN (Requête n° 68762/14) du 20 septembre 2018 par exemple.
II. Les avancées vers la Convention sur la protection de la profession d’avocat
Le texte original du projet de Convention a fait l’objet de nombreuses modifications depuis le document initial. Il ne saurait être question d’en divulguer ici les détails : d’une part, tant que les débats ne sont pas clos et que le projet n’est pas finalisé, il ne saurait être adopté par le Comité des Ministres, ni être commenté en détail. D’autre part, il est évident que la confidentialité des débats doit être respecté.
Cependant, il peut être indiqué à ce stade que ce projet de Convention contient des dispositions qui devraient consolider la profession d’avocat, dans l’espoir que toute atteinte à son statut ou à l’exercice individuel de l’avocature soit considéré comme une violation du droit international, qui est en train de naître par l’adoption prochaine de cet instrument juridique. Autant dire que les progrès que cette Convention européenne devraient apporter au niveau procédural en matière de protection des avocats individuels et de cette profession en général seront manifestes.
Ainsi, plusieurs chapitres devraient être consacrés à la défense du statut des avocats, que ce soit les organisations d’avocats telles que les Barreaux ou bien les avocats à titre individuel en tant que participants à l’administration de la Justice. L’idée est bien évidemment de mettre à charge des Etats une obligation positive de protection de la profession d’avocat, pour que chaque confrère puisse pratiquer cette profession en toute indépendance, sans ingérence ou pressions de quiconque, notamment des autorités publiques.
Il est prévu de protéger les droits des avocats dans l’exercice de leur mission. Différents droits et libertés attachés à la profession d’avocat sont trop souvent sous attaque et devraient faire l’objet de dispositions contraignantes de protection, tels que le secret professionnel, les libertés d’expression et de plaidoiries, l’indépendance, le droit d’exercice notamment au sein des barreaux ou la protection contre toute forme de menace.
Enfin, une convention européenne doit être, pour son efficacité, dotée d’un mécanisme de contrôle et de suivi. Une fois le projet de texte définitif adopté par les organes du Conseil de l’Europe, il s’agira de proposer le texte à la signature des Etats membres, avant que le processus de ratification ne soit entamé.
L’adoption de cette Convention à venir ne se fait cependant pas dans le vide. L’organe protecteur des droits et libertés des citoyens des Etats membres du Conseil de l’Europe est bien entendu la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dont la jurisprudence a été exposée sous le point (I.). Cette jurisprudence inspire les travaux actuels, son application conjointe avec la Convention à naître fera émerger un droit nouveau, dont chaque avocat en Europe doit se réjouir, dans ce monde qui est de plus en plus la proie à la violence et aux troubles sérieux.
(1)Voir notamment mon article intitulé ‘La Convention européenne sur la profession d’avocat : une protection nécessaire’ (numéro 2020.04) ;
(2)Voir aussi l’arrêt SCHÖPFER c. SUISSE (requête no 25405/94), 20 mai 1998, §§ 29-30.
(3)Voir à ce sujet l’excellent article du bâtonnier Bertrand FAVREAU, « Un président ne devrait pas dire ça », Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme n°136, 1er octobre 2023, éd. NEMESIS-ANTHEMIS, Belgique
François MOYSE
Managing Partner, MOYSE & ASSOCIATES
Directeur Etat de droit de l’UIA-IROL
Luxembourg