International | 19.12.2023

UIA-IROL Congress Session - Resume

La protection de la liberté d’expression des avocats est une garantie cruciale pour assurer un exercice effectivement libre et indépendant de la profession, et permettre à cette dernière d’assurer pleinement son rôle dans la défense de l’État de droit, l’accès à la justice et la protection des droits humains. Plusieurs instruments juridiques régionaux et internationaux reconnaissent une protection renforcée à la liberté d’expression des avocats. Pour autant, leur portée reste limitée puisqu’aucun de ces instruments n’a de valeur contraignante. Dans un contexte où les attaques contre la profession d’avocat et les avocats à titre individuel sont en constante hausse, il est primordial de renforcer les garanties de la profession d’avocat.

Lors du Congrès de l’Union internationale des avocats (UIA), la session de l’UIA-IROL s’est tenue le 28 octobre 2023 et a porté sur la protection de la liberté d’expression des avocats, le renforcement et l’amélioration des garanties de la profession. Trois panelistes ont pris la parole à ce sujet :  Me Martin Pradel, avocat au Barreau de Paris et associé du cabinet TALMA ; Maître Marie-Aimée Peyron, ancienne Bâtonnière et vice-Présidente du Conseil national des Barreaux ; Alessia Schiavon, directrice exécutive de la fondation Fibgar et coordinatrice du projet PATFox.

Au cours de son intervention, Maître Martin Pradel a mis en lumière les difficultés auxquelles font face les avocats dans le monde, en raison de l’absence d’instrument contraignant garantissant leur liberté d’expression. En l’état, seuls les Principes de base relatifs au rôle du barreau (« principes de la Havane ») consacrent une liberté d’expression renforcée des avocats lorsqu’ils prennent part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’Homme, conformément au principe 23 (1).  Néanmoins, les avocats sont toujours menacés dans le monde pour le simple exercice de leur profession. La situation en Tunisie illustre parfaitement la fragilité de la protection de la profession juridique. Le 25 juillet 2021, après que le Président de la République Tunisienne Kaïs Saïed ait fait application de l’article 80 de la Constitution permettant d’instaurer un état d’exception pendant une période de 90 jours, les avocats se sont élevés contre la mise en œuvre d’une telle disposition constitutionnelle. Le Président de la République a alors adopté des mesures de représailles à leur encontre, ainsi qu’à l’encontre des avocats assurant leur défense. Par la suite, le 22 septembre 2022, le Président a édicté un décret-loi sur le fondement duquel il a révoqué 57 magistrats pour avoir émis des critiques à l’encontre d’agents publics.

Pour Maître Martin Pradel, « L’avocat est celui ou celle qui va porter un regard sur la marge des institutions, sur le fonctionnement d’une démocratie et des institutions qui font vivre cette démocratie. Leur situation est précaire car il suffit d’une crise économique ou d’une crise sanitaire pour voir les libertés fondamentales s’effondrer, dont l’indépendance de la profession ».

Maître Marie-Aimée Peyron considère que les barreaux sont les avocats des sans-voix. La liberté d’expression des avocats constitue le ressort du principe de procès équitable : comment bénéficier d’un droit au procès équitable effectif si l’avocat ne jouit pas de la liberté d’expression ? Les seules limites à la liberté d’expression doivent être le respect du secret de l’enquête et de l’instruction et le respect des règles déontologiques. Lorsqu’une atteinte est portée à la liberté d’expression, trois professions sont touchées : les journalistes, les juges et les avocats. Maître Peyron a insisté sur l’importance des ordres des avocats qui permettent de dénoncer les disfonctionnements de l’autorité judiciaire, assurer le respect des règles déontologiques et mettre en œuvre des plans d’action pour lutter contre les atteintes à la profession d’avocat. Au titre de cette dernière mission, les ordres assurent une solidarité des avocats à travers le monde. Lorsqu’un avocat est poursuivi pour le simple exercice de sa profession, tous les avocats du monde doivent être à ses côtés et ce, afin de défendre la démocratie. A ce jour, tous les avocats doivent être mobilisés auprès de l’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh.

Maître Peyron a déclaré que « lorsque les avocats sont poursuivis pour le simple exercice de leur profession, il est indispensable que nous soyons à leurs côtés. Lorsque nous sommes tous ensemble, nous parvenons à sauver la vie de nos confrères, et surtout, à défendre la démocratie ».

Pour Maître Peyron, il est essentiel que la Convention européenne sur la profession d’avocat du Conseil de l’Europe voie le jour en 2025.

Alessia Schiavon s’est par la suite exprimée sur les « strategic lawsuits against public participation (SLAPPs) », ou « poursuites-bâillons ». Il s’agit des poursuites mises en œuvre contre les journalistes et les défenseurs des droits afin de les empêcher de s’exprimer sur des questions d’intérêt général ou de les pénaliser. De 1980 à 2015, les garanties contre les procédures baillons étaient assez faibles. A la suite de l’assassinat de la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia visée par 47 procédures en diffamation, la société civile européenne s’est mobilisée pour appeler l’Union européenne à mettre fin aux pratiques des poursuites-bâillons. Dans ce contexte, la Commission européenne a adopté un « SLAPP package » composé notamment d’une proposition de directive sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives (« poursuites stratégiques altérant le débat public », de recommandations et d’un chapitre substantiel. Le projet PATFox (Pioneering Anti-SLAPP Training for Freedom of Expression), co-financé par l’Union européenne, vise à sensibiliser les juristes européens à ces poursuites, rassembler des ressources sur la défense juridique contre ces procédures, améliorer leurs connaissances et leurs compétences pour traiter effectivement les SLAPPs. Il sera achevé en 2024.

Au cours de la phase de questions / réponses, plusieurs avocats ont partagé des situations dans lesquelles leur liberté d’expression avait été bafouée. Maître Djerandi Laguerre-Dionro, bâtonnier du Barreau du Tchad, a soulevé les difficultés auxquelles font face les avocats mis en cause en raison de leur implication dans des activités de défense des droits de l’Homme.

L’UIA-IROL soutient le projet de Convention européenne sur la profession d’avocat, encourage les États du Conseil de l’Europe à la ratifier sans réserve, et invite les États du monde entier à devenir observateurs de cette convention.

 

(1) Notons que cette protection a été reprise au Principe 1.3 de la Recommandation 2000-21 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres, et au sein des  Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de 2003(point I., 11).

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