1. Quelles sont les origines de votre association et quels sont ses principaux objectifs ? Pouvez-vous nous présenter votre équipe ?
We Are NOT Weapons of War (WWoW) est une start-up à but non lucratif basée à Paris, en France, qui se consacre à la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits au niveau mondial. Depuis presque 20 ans, je travaille dans les crimes de guerre et je suis enquêtrice criminelle internationale dans de nombreux pays et j’ai été témoin de l’usage systématique du viol comme arme de guerre dans la plupart des zones de conflit, post-conflit, et autres zones fragiles dans le monde. En 2010, j’ai conduit le premier procès à Brcko en Bosnie Herzégovine qualifiant pour la première fois au niveau national, le viol comme crime de guerre. Cela a conduit à ce que les victimes puissent accéder à des réparations financières de l’État au même titre que tout autre victime de crime de guerre. J’ai réalisé l’importance de faire comprendre ce qu’était le viol de guerre à un plus grand public et j’ai donc décidé de fonder WWoW en 2014 afin de proposer une réponse globale, holistique et efficace à l’usage endémique du viol dans les environnements fragiles via des approches juridiques innovantes et créatives. Parce que le fléau des violences sexuelles est utilisé comme un outil avec un but précis dans de très nombreux pays en conflit et dans tous les environnements fragiles, ciblant les femmes, les filles et parfois les hommes ; WWoW a pour objectif de mieux comprendre ses causes, sa portée et son modus operandi, et de développer des solutions efficaces et judicieusement conçues. WWoW conduit aussi un plaidoyer mondial sur la question des violences sexuelles dans les conflits et accompagne la « vie d’après » des survivant.e.s et des enfants issus du viol ; avec son programme « Foster a Survivor ».
2. Vous avez mis en place une web application mobile innovante en matière de collecte de preuve des exactions en zone de conflit : où en est son déploiement ? Dans quels pays intervenez-vous ? Quelles sont vos principales difficultés pour le moment ?
WWoW s’intéresse particulièrement à l’utilisation de nouvelles technologies. L’organisation a développé un site mobile sécurisé Le BackUp qui permet aux survivant e s de se signaler et de faciliter leur accès aux services médicaux, psycho sociaux et juridiques. L’outil permet aussi la transmission et la sauvegarde de documents et éléments de preuve par toute personne, dans le monde entier pour accélérer les processus de justice et la lutte contre l’impunité. L’outil a été développé avec les survivant.e.s et l’appui technologique de la compagnie Intech Lux basée au Luxembourg, pendant quatre ans. Une étude pilote a été menée en 2019 et 2020 au Burundi, Rwanda et en Libye. En 2022, BackUp a été finalisé, et actuellement il est opérationnel en cours de traduction dans plusieurs langues. Une version russo ukrainienne existe déjà. Nous sommes prêt.e.s à déployer BackUp dans le monde entier, mais pour cela il nous faut les ressources financières nécessaires dont nous ne disposons pas encore pour le moment.
3. Quelle est la nature de l’aide que vous apportez aux victimes de violences en zones de conflit ?
Nous apportons différentes formes d’aides. D’abord nous sommes une agence d’expertise sur la question des violences sexuelles dans les conflits, et de manière plus large les questions de justice et de sécurité en zones post conflits et zones fragiles. Nous travaillons comme une agence parapluie en coopération avec des institutions et communautés locales. Nous sommes la première organisation à vocation mondiale sur la question à avoir été créée sur cette question, à un moment où l’on parlait encore très peu du viol de guerre. Nous portons donc un plaidoyer mondial, une pédagogie et notre projet phare a été le développement de cet outil BackUp pendant des années. Mais nous avons aussi un programme dans lequel nous accompagnons les survivant.e.s et les enfants nés du viol, à se reconstruire à travers des projets professionnels et à aller à l’école (pour les enfants). Il est essentiel que les victimes ne soient pas enfermées dans leur statut de victime, qui est parfois un effet contre-productif que créent certaines ONGs. Nous avons l’approche opposée et considérons que ces personnes ont eu une vie avant, que ce qui leur est arrivé ne les définit pas et que donc elles doivent pouvoir avoir une vie après. Nous sommes aussi très attachés à intégrer la question du viol de guerre dans celle plus large de la bonne gouvernance, les questions de reformes de justice et de reformes du secteur de la sécurité. Les violences sexuelles ne sont pas des évènements isolés et auxquels on peut répondre de manière isolée. Elles s’inscrivent dans un tout.
4. La triste actualité de la guerre en Ukraine montre que les violences sexuelles en zone de conflit peuvent aussi toucher les frontières de l’Europe. Où en est le déploiement de votre web application en Ukraine et quelles sont les difficultés de votre action spécifiquement dans ce pays ?
A chaque fois qu’un conflit éclate, très vite les premières informations sur des violences sexuelles commises surgissent. Nous le voyons dans tous les conflits et l’Ukraine ne fait pas exception. Mais il faut faire attention à distinguer les violences sexuelles dans les conflits, qui sont constitutives de crimes de guerre, et le viol comme arme stratégique, c’est-à-dire systématique voire systémique, planifié organisé etc. Comme cela a pu se passer au Rwanda, en ex Yougoslavie ou encore en Syrie, en Libye ou au Myanmar. En Ukraine, nous ne disposons pas de suffisamment d’éléments pour parler de viols de guerre organisés et planifiés. BackUp est prêt à être déployé en Ukraine, il manque encore certaines ressources financières pour que nous puissions le faire. Mais l’outil va permettre d’abord aux victimes ukrainiennes de s’exprimer et c’est aussi ce à quoi sert BackUp, ensuite de pouvoir avoir une idée de ce qui s’est passé, ou, comment et donc de pouvoir quantifier et qualifier ces crimes avec des éléments probants, collectifs et venant des victimes directement. Nous espérons pouvoir lancer BackUp en Ukraine d’ici septembre/octobre 2022.
5. Pensez-vous que nous arriverons à combattre l’impunité de telles exactions ?
L’impunité à laquelle fait face le viol de guerre est très étroitement liée à l’impunité générale que l’on voit concernant la plupart des crimes internationaux. Pour un crime international commis, 0,00001 de ces crimes est poursuivi… Donc le chantier est immense. S’agissant des viols c’est encore plus compliqué car l’on demande beaucoup aux victimes i.e. témoigner encore et encore, avoir des éléments de preuves matérielles etc., cela n’a aucun sens. Il faut revoir les requis de preuves concernant les violences sexuelles afin de pouvoir mieux les poursuivre et il faut aussi mieux protéger les victimes en arrêtant de les mettre à l’épreuve en permanence avec les interviews, exposition etc. De plus, la réalité est que la grande majorité des victimes reste encore invisible car elles se trouvent dans des lieux non accessibles ou n’ont pas accès aux organisations etc. C’est exactement la raison pour laquelle nous avons créé BackUp. L’outil contient un lien sécurisé, un questionnaire simple, dans toutes les langues vernaculaires et avec des illustrations peut être partagé bien plus facilement dans des endroits très reculés et donc permettre d’avoir des éléments venant de beaucoup de victimes qui ne se sont jamais exprimées ; sans pour autant les forcer à parler à quelqu’un etc. Pour beaucoup de victimes, parler à quelqu’un est bien plus difficile. Je ne sais pas si nous arriverons à combattre l’impunité mais les choses avancent et cela est positif, il faut continuer ce combat si l’on veut vraiment aboutir à des résultats et poser, comme le dit le Dr. Denis Mukwege, une véritable ligne rouge. C’est d’ailleurs valable pour les viols de guerre comme pour les violences sexuelles et domestiques en général. C’est aussi et avant tout une question de prise de conscience mondiale et publique, par toutes et tous que les violences sexuelles et celles particulièrement commises à l’encontre des femmes sont NON. Point.
6. De quelle aide bénéficiez-vous pour financer vos activités ? Comment pouvons-nous vous aider ?
Nous avons été (et sommes toujours) grandement soutenu depuis 2019 par S.A.R. La Grande-Duchesse de Luxembourg [2]. C’est aussi en 2019 que nous avons rencontré l’UIA qui nous a ouvert ses portes en nous donnant une tribune lors de son congrès en novembre 2019. Nous avons bénéficié de l’appui du programme Business Partnership Facility au Luxembourg qui a permis la finalisation et l’opérationnalisation de l’outil BackUp. L’Agence Française de développement à travers sa direction de l’innovation a aussi permis l’étude pilote de BackUp sur le terrain. Nous sommes encore une très petite organisation et nous avons fait ce choix, nous sommes une petite équipe, qui fonctionnons très bien mais avec très peu de ressources. Aujourd’hui nous passons un cap avec BackUp, et pour que tous ces efforts et ce travail aient un sens, il nous faut maintenant avoir les ressources nécessaires pour mettre en œuvre BackUp sur le terrain. Sans ces ressources, nous sommes bloqués et c’est ce qui nous arrive actuellement.
7. Quels messages souhaiteriez-vous faire passer à lumière de votre expérience, notamment aux avocats du monde entier qui constituent notre association ?
Le message c’est que nous avons toutes et tous un rôle à jouer, peu importe notre profession, peu importe ce que nous faisons, ce qui se passe dans le monde nous concerne. Mais s’agissant de la profession d’avocat, je crois que les avocats devraient prendre conscience et s’informer sur ces types de crimes et surtout s’entraider. Lorsque l’on est avocat à Paris ou au Luxembourg, on ne fait pas face aux mêmes choses que lorsqu’on l’est au Kasai (RDC) ou en Centrafrique. Dans ce sens, je trouve que ce que fait l’UIA est remarquable, intégrer des questions internationales, mettre la lumière sur des initiatives portées par la société civile comme celle de mon ONG et permettre aux avocats d’enrichir leurs connaissances et de s’engager.
[1] Céline Bardet sera l'une des principales intervenantes de la Session spéciale sur "Les violences sexuelles dans les zones de conflit » qui aura lieu le jeudi 27 octobre 2022 dans le cadre du 66e Congrès annuel de l’UIA, en présence d’un invité d’honneur exceptionnel : Dr Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix 2018.
[2] En savoir plus sur Stand Speak Rise Up!, l'initiative contre les violences sexuelles dans les zones sensibles soutenue par S.A.R. la Grande-Duchesse de Luxembourg.
Sujet tabou, l’utilisation du viol comme arme de guerre est une bombe à retardement qui fragmente les sociétés et empêche l’émergence d’une paix durable. L’association Stand Speak Rise Up! est née à l’initiative de S.A.R. la Grande-Duchesse de Luxembourg, elle vise à dénoncer le viol comme arme de guerre, empêcher sa prolifération et soutenir les victimes dans leur travail de reconstruction et leur besoin de justice. Elle agit comme « porte-voix » pour les victimes mais aussi les porteurs de solutions. Elle organise ainsi des rencontres régulières autour de thématiques précises, en conviant à la fois des survivantes et des experts internationaux.
L’objectif est de dresser des constats factuels, de proposer des solutions et d’agir auprès des instances internationales afin de faire bouger les lignes. Le programme de l’association a été développé autour de plusieurs thématiques directement définies lors du forum de Luxembourg en 2019 avec les survivantes et les spécialistes :
• soigner les blessures physiques, psychologiques ;
• mettre fin au stigma pour les victimes ;
• unifier les règles et les lois pour la justice ;
• réparer les préjudices ;
• développer la technologie et la finance au profit des victimes ;
• améliorer l’inclusion des enfants nés du viol.
L’initiative Stand Speak Rise Up! est un appel aux représentants des organisations nationales et internationales et à la société civile à se rallier derrière les survivantes pour soutenir leur cause et renforcer les moyens d’action. Pour en savoir plus sur l'association et le grand événement de charité qui aura lieu à Biarritz le 15 octobre 2022 : https://www.standspeakriseup.lu/fr/accueil/